Jack Painter Intégration Posturale
Jack Painter est né aux Etats-Unis. Il a fait des études de théologie protestante en Allemagne puis a obtenu un doctorat en philosophie, en littérature et en psychologie à l’Université d’Emory (Atlanta).Il a travaillé avec Marty Fromm et Fritz Perls en Gestalt-thérapie.
Professeur de philosophie à l’Université de Miami, fondateur de l’intégration posturale et de l’intégration énergétique, il est praticien et formateur en travail psycho-corporel depuis plus de 30 ans.
Il est l’un des collaborateurs de l’Institut Wilhelm Reich de Mexico et directeur du « Center international for release » de San Francisco en Californie. Il organise régulièrement des sessions de formation à travers le monde.
Auteur de 2 manuels : « Travail corporel en profondeur et développement personnel » et « Manuel technique de travail corporel holistique ».
Une transformation globale de l’être
Il semble évident que nous soyons tous prêts à changer si cela implique de devenir plus calme, plus en forme, plus vivant … mais c’est précisément là qu’est Ie problème de base de toute transformation humaine. même lorsque nous affirmons que nous souhaitons une vie différente, même lorsque nous sommes impliqués d’une façon ou d’une autre dans ce processus de transformation, il y a toujours en chacun de nous un personnage entêté qui s’oppose à toute redéfinition fondamentale de ce que nous sommes.
Ce personnage, cette partie de nous qui refuse de laisser aller, de s’abandonner, C’est notre armure. Nous lui donnons Ie nom d’armure parce que c’est cet aspect de nous qui se durcit en désensibilisant notre corps, effrayé par toute possibilité de douleur ou de confusion, et qui réussit ainsi à garder le contrôle absolu de nos émotions et de nos pensées. L’armure, c’est cette série de postures bien développées avec lesquelles on négocie dans la vie : un cou rigide, un l’entre qu’on retient, des hanches bien enveloppées, caoutchouteuses. C’est aussi cette série d’émotions qu’on contrôle bien ; la tristesse qu’on maquille d’une façon ou d’une autre, la colère qu’on retient, la peur qui paralyse. C’est encore toute cette armée de croyances non avouées et répressives : Si j’essaie vraiment je réussirai ; Si je suis gentil avec toi, tu seras gentil avec moi” …
Pensez à votre propre façon de vous comporter. Prenez note des petits trucs que vous vous inventez pour réussir à passer au travers de l’os journées ; comment vous réussissez à vous motiver Ie matin, comment vous vous gardez en forme en ne vous permettant pas de pensées négatives, comment vous parvenez toujours à montrer votre meilleur aspect quand il s’agit d’impressionner les autres. Une bonne part de ces comportements deviennent une sorte de seconde nature : ils se mettent en marche de façon inconsciente et ils fonctionnent d’ailleurs fort bien en nous protégeant de toute douleur et de toute confusion. Toutefois, il est important de saisir que ces comportements nous limitent aussi et que vient toujours Ie moment où ils se transforment en une structure rigide qui inhibe toute notre spontanéité.
PRINCIPAUX SEGMENTS D’ARMURES CARACTERIELLES
En répondant naturellement à la douleur ou au danger, nous avons tendance à nous rigidifier ou même à paralyser certaines parties de notre corps. L’armure (une bande de tissus sur-contractés ou sur-ramollis) est une sorte de réponse réflexe qui prend forme lorsque nous anticipons un danger qui n’est pas vraiment présent. On peut voir l’armure comme un segment à la fois physique, émotif et mental encerclant le corps en bloquant toute flexibilité et tout mouvement spontané. Nous voyons ici 7 principaux segments, ou bandes, d’armure :1. Le segment oculaire est une défense qui peut prendre la forme d’une contraction, d’une raideur ou d’une immobilité autour du cuir chevelu, du front, des paupières, des yeux et des glandes lacrymales. Il se manifeste souvent par un masque figé, sans expression.
2. Le segment oral comprend habituellement les lèvres, le menton et la gorge, et il empêche de se manifester des besoins comme Ie fait de sucer, de mordre et de crier.
3. Le segment du cou peut retenir une colère qu’on ne l’eut pas s’avouer ou des sentiments qu’on préfère ravaler.
4. Le segment thoracique peut être rigide, comme lorsque les épaules sont tirées, vers l’arrière dans une volonté de contrôle, ou écrasé, comme par une tristesse ou une faiblesse chronique.
5. Le segment diaphragmatique encercle l’estomac, Ie pancréas, Ie foie et Ie reins, et réprime l’expression de sentiments “viscéraux” comme le dégoût et la peur de la mort
6. Le segment abdominal coupe souvent Ie corps en deux en empêchant le cœur et la tête, en haut, de se brancher sur l’énergie du bassin, en bas.
7. Le segment pelvien se divise en deux parties. A : le bassin où se cachent les frustrations et les désirs sexuels les plus profonds et, B : les jambes qui supportent nos insécurités et nos manques de stabilité (grounding).
Les tensions du corps sont clairement inséparables l’une de l’autre : elles s’inscrivent dans notre posture générale et dans nos vieilles habitudes. Le fait de travailler une partie quelconque du corps et de ne pas viser au relâchement de toute la structure corporelle ne mène en fait qu’à une réorganisation de nos problèmes, pas à une transformation véritable.
Comment alors peut-on réussir à toucher ces habitudes ancrées, ces structures sous-jacentes? On pourra être tenté de considérer que la clé de toute transformation réside dans notre attitude émotive et mentale “de base”; pourtant même lorsque nous essayons d’aller plus avant en mettant aussi en ligne de compte ces émotions et ces pensées qui sont reliées aux douleurs et aux déséquilibres que nous ressentons, nous ne rencontrons qu’une subtile façon de nous jouer nous-mêmes. Chaque fois que je me dis que je suis prêt à explorer telle ou telle partie de mon corps en essayant de dépister les émotions et les pensées qui s’y rattachent, j’utilise probablement une partie inconsciente de mon armure. Souvent, il se cache là un message implicite : “j’essaie très fort, mais jamais rien ne fonctionne vraiment pour moi” … et ce message inconscient manipule tout autant mon esprit que mon corps alors même que je pense travailler à relâcher ces deux aspects de mon être. Derrière chacun de nos comportements conscients se cachent de nombreuses attitudes émotionnelles et mentales inconscientes : elles se sont développées en même temps que nos postures physiques et elles ont Ie contrôle sur les efforts, aussi bien intentionnés soient-ils, que nous faisons pour améliorer la qualité de nos vies.
Vous commencez probablement à vous demander quel type d’approche, quel genre de processus peut réussir à percer un système de défense inconscient aussi solidement ancré. En travaillant sur moi tout autant qu’avec les autres, j’ai découvert qu’il faut absolument aborder l’être dans sa totalité, dans l’unité de toutes les parties du corps, l’extérieur en même temps que l’intérieur, dans l’unité profonde du corps et de l’esprit. Si on transforme des vieilles postures rigides, il faut aussi transformer les émotions et les façons de penser rigides qu’elles incarnaient : si on relâche une foule d’émotions bloquées et les attitudes mentales qui les accompagnent, il est aussi important de relâcher Ie tissu musculaire pour, qu’une nouvelle flexibilité soit vraiment possible.
J’aimerais partager avec vous une approche que j’ai développée à travers quinze années d’expérimentation et de travail. C’est un type de “travail corporel”, c’est-à-dire une approche impliquant un travail direct sur les muscles, les positions, les postures et les mouvements du corps, mais cette approche corporelle ne fait qu’aborder l’aspect physique de l’être : elle implique aussi un travail direct sur les attitudes émotionnelles et mentales exprimées par tout ce donné physique. Cette approche, ce processus, je lui ai donné le nom Intégration Posturale.
Si vous n’êtes pas familier avec l’Intégration posturale comme moyen de transformation de l’être tout entier, vous seriez probablement très surpris d’arriver tout à coup au milieu d’une session de travail. Vous y verriez le praticien installé au-dessus de son client et travaillant avec ses mains, ses doigts ou même ses coudes pendant que l’autre gémit, soupire ou crie en donnant des coups de pieds. Le praticien pourrait être en train de travailler très doucement aussi en berçant le client dans ses bras ou même en le caressant tout en l’encourageant à prendre de profondes respirations : ils pourraient aussi être tous deux en train de dialoguer ou de clarifier certaines idées ou certains sentiments. Comment comprendre tout cela ? Qu’est-ce qui se passe au juste ? S’agit-il d’un culte, d’un rituel ou même d’un nouveau style de perversion ?
En fait, ce n’est qu’en reconnaissant notre résistance au changement autant au niveau du corps qu’à celui de la conscience que nous commencerons à saisir Ie besoin d’un ensemble de stratégies diverses qui nous permettrons d’amener de véritables transformations à ces deux niveaux simultanément. En Intégration posturale, le praticien utilise ses doigts, ses poings et ses coudes pour agripper et pour déplacer différents plans de tissus afin de réorganiser tout le système musculaire. Il ne faut pas saisir ici l’expression “travail corporel” dans le sens où on y traiterait le corps séparément des émotions et des attitudes mentales : au contraire, le processus de l’Intégration posturale n’est une approche corporelle que dans le sens où le corps est une forme immédiatement saisissable et accessible de cet ensemble formé par le corps, le mental et les émotions. La puissance extraordinaire de l’Intégration posturale tient à cette volonté de travailler simultanément à plusieurs niveaux avec le client. En prenant peu à peu contact avec le corps du client, mes mains relâchent des tensions musculaires profondes pendant que j’établis un contact visuel : quand je commence à appliquer la pression, je demande au client de partager ce qu’il ressent et ce qu’il pense à l’aide de sons, de mouvements ou même de mots. Ce n’est en fait qu’en entretenant ce contact, qu’en gardant ce canal constamment ouvert que le praticien pourra se montrer assez flexible pour déplacer selon le cas son attention et répondre aux demandes constamment changeantes du client. Le praticien et le client travaillent ensemble, tantôt sur Ie tissu musculaire, tantôt avec des mots ou avec des sons : toujours cependant, ils reconnaissent la profonde unité physique, émotionnelle et cognitive du processus.
Si l’on considère toutefois l’importance de nos résistances, un changement profond de l’être implique plus que ce partage momentané aussi unifié soit-il sur les plans physique et émotionnel. L’Intégration posturale est en effet beaucoup plus qu’un relâchement temporaire ; c’est une approche systématique qui touche l’être dans sa globalité, un processus étape par étape dans lequel, guidé par Ie praticien, nous en arrivons à redécouvrir notre totalité, notre santé, notre flexibilité et notre spontanéité. En plus de douze années d’expériences diverses -expérimentations, observations et partages- les praticiens et les moniteurs d’lntégration posturale ont découvert que dans ce processus d’unification de l’être, il est particulièrement important
1° de travailler les différents aspects du corps-conscience (bodymind), c’est-à-dire autant ses structures extérieures et les émotions qu’elles manifestent que sa musculature interne profonde et les sentiments qui l’accompagnent ;
2° d’en arriver à équilibrer et à régulariser l’énergie disponible de façon à ce que nous ne restions pas figés dans un pattern selon lequel nous sommes toujours soit en état de faiblesse et de sous-nourrissement, soit toujours près d’exploser et en constante surexcitation ;
3° d’assimiler et de comprendre les changements que l’on est en train de vivre et de réaliser ainsi que l’on peut accepter son vieux moi tout en étant complètement disponible aux nouvelles expériences.
Relâcher l’extérieur et l’intérieur
Notre développement personnel raconte l’histoire de ces réponses apprises qui, avec Ie temps, deviennent des habitudes rigides dont Ie but premier est de nous protéger de la douleur : ce sont toutefois ces mêmes habitudes qui nous empêchent d’être complet et spontané. Les plus anciennes de ces habitudes forment Ie cœur même de nos résistances. Les traumatismes que nous vivons dès les premiers instants de notre existence -dès le moment de la conception puis tout au long du voyage vers les trompes de Fallope jusqu’à l’implantation dans l’utérus et à la gestation établissent déjà des structures de protection. Ce “cœur” de résistance se renforce encore lorsque nous sommes forcés de vivre le choc de la naissance puis de nous débattre tout Ie long de la petite enfance en traversant les phases orale, anale et génitale. Dès l’âge de trois ou quatre ans, nous avons déjà développé presque complètement nos postures caractéristiques, nos façons personnelles d’éviter la douleur ou toute forme de transformation non souhaitée.
Nous passons habituellement le reste de nos vies à renforcer ce “cœur” en accumulant avec les années des séries de réponses similaires. Mais toute cette armure est encore compliquée du fait que nous créons une couche protectrice de plus en isolant Ie “cœur” de nos tensions d’une sorte de vernis : car ce “cœur”, tout en étant la partie la plus résistante de ce que nous sommes, est également la plus vulnérable à la douleur intense. Ce nouveau vernis protecteur, cette “carapace” nous permettra donc de prendre certains risques : si jamais nous sommes blessés, ce ne sera que de façon superficielle. A l’intérieur, profondément, le système de protection restera intact.
Cette division très nette entre le “cœur” et la “carapace” se manifeste à plusieurs niveaux. Sur le plan physique, on peut développer les muscles externes du corps, ce qu’en anatomie on appelle la musculature “extrinsèque” et qui comprend les muscles puissants assurant la locomotion et les activités diverses comme la course ou le fait de lancer ou de soulever des objets. Le développement de ces muscles peut nous aider à dépasser nos problèmes en mettant l’accent sur la force et la puissance, mais en procédant ainsi on oublie habituellement les muscles internes, les “intrinsèques”, qui eux initient et coordonnent tous nos mouvements vers l’extérieur. En dernière extrémité, ce déséquilibre entre une “carapace” dure et un “cœur” faible peut faire de nous des êtres gauches bardés de muscles gonflés. Sur les plans mental et émotionnel, on peut de la même façon en arriver à croire que notre vie intérieure sera suffisamment pleine si on arrive à être très actifs dans nos manifestations extérieures.
Si l’on devient conscient de ce sur-développement tout orienté sur l’extérieur, de cette “carapace” protectrice créée de toutes pièces, on pourra être tenté d’assouplir ce système de défense en travaillant graduellement de l’extérieur vers l’intérieur, vers Ie “cœur”. C’est d’ailleurs une des stratégies les plus fréquentes en travail corporel que de travailler de la “carapace” vers le “cœur” : dans ce style d’approche on considère Ie corps un peu comme un oignon et pour réussir à en atteindre les niveaux les plus profonds, on n’a qu’à en éplucher les couches protectrices, une par une.
On peut comprendre un peu mieux cette approche si l’on considère la nature et la structure des tissus que l’on manipule. Les muscles du corps sont enveloppés dans un tissu souple nommé fascia. C’est ce tissu qui organise et qui guide les mouvements de nos muscles à partir d’un système de couches et de niveaux de profondeur : le système myofascial. Juste sous la peau se trouve une couche omniprésente qui, à l’instar d’une sorte de grand sac, retient tous les muscles : à un niveau un peu plus profond, on trouve une série d’enveloppes individuelles pour chaque muscle. Lorsque nous développons des comportements rigides autant sur Ie plan physique qu’émotionnel, ce système de tissu devient de moins en moins souple et Ie fascia limite alors nos mouvements tout autant que notre attitude générale. La stratégie de l’approche dont nous parlions plus haut consiste à assouplir puis à réorganiser les parties du système myofascial qui sont devenues engluées pour que, espère-t-on, les muscles retenus par le fascia puissent retrouver leur mobilité et leur équilibre.
Mon expérience m’a démontré que si l’on commence à travailler l’extérieur en croyant qu’on pourra affecter l’intérieur, on oublie avec quelle subtilité notre armure peut réorganiser ses défenses. La tension que l’on relâche en surface peut tout simplement se déplacer vers un territoire profond mieux protégé. Bien sûr, il est important de respecter Ie rythme de travail et d’assimilation d’un client et souvent l’Intégrateur postural portera son attention sur les couches superficielles de fascia pour travailler ensuite graduellement de plus en plus en profondeur. Toutefois, lorsqu’une véritable transformation se produit, elle ne se manifeste pas qu’à l’extérieur : elle survient simultanément à l’intérieur.
Le psoas-iliaque est un muscle intrinsèque profondément enfoui dans le bassin. Quand il n’est pas subjugué par les muscles extrinsèques entourant l’extérieur du bassin, le psoas-iliaque est à la source de notre énergie personnelle et un puissant régulateur de cette énergie de base.
En commençant à travailler les couches superficielles de tissu, je demande au client d’activer sa musculature intrinsèque en roulant doucement Ie bassin par exemple, ou en bougeant la colonne vertébrale. En abordant cette musculature extrinsèque de même que les attitudes mentales et les émotions qu’elle véhicule, il arrive ainsi fréquemment que je travaille simultanément l’intérieur de la bouche qui retient certaines des émotions, des structures et des attitudes les plus profondes du corps. Plutôt que de traiter le corps comme un oignon formé de plusieurs couches on peut alors, avec l’aide du praticien, arriver à le percevoir comme une masse vibrante et malléable plus ou moins engluée à certains endroits, mais fondamentalement composée du même matériau vivant, à l’intérieur comme à l’extérieur. Touché à quelque niveau de profondeur que ce soit, cet ensemble vivant répond instantanément en se donnant également une nouvelle forme dans toutes ses autres dimensions, dans toutes ses autres parties.
La charge et la décharge
Nous maintenons également notre armure défensive d’une autre façon: en retenant ou en dissipant notre énergie, c’est-á-dire notre force physique, nos émotions et nos attitudes mentales. D’une part, on peut sentir le besoin d’augmenter son niveau énergétique sans trouver de moyen efficace pour l’exprimer : certains sont très musclés mais ne réussissent pas á se sentir bien avec cette puissance potentielle; on peut aussi étre rigide et refuser d’exprimer la colère accumulée depuis l’enfance, ou encore se protéger en se cachant derrière des opinions bien posées. De l’autre, on peut avoir tendance á dissiper son énergie sans se donner la chance de récupérer jusqu’á s’écraser de fatigue; on peut aussi exprimer ses sentiments et ses idées de façon incontrólée, sans limite, jusqu’à ce que cela n’ait plus de sens.
Mais il est aussi possible de bouger de façon différente, d’explorer de nouvelles émotions, de nouvelles attitudes jusqu’à ce qu’elles deviennent à leur tour habituelles et qu’on puisse les modifier (mais non les abandonner) par un nouveau comportement spontané. On peut se servir de l’image de l’accumulateur que l’on charge et que l’on décharge pour mieux comprendre ce processus. En nourrissant, en ressourçant notre force physique, nos sentiments et nos idées, nous accumulons de l’énergie; en nous exprimant, nous relâchons cette énergie accumulée. C’est là un cycle charge-décharge qui se répète constamment. Si on refuse la charge, on perpétue un état de faiblesse et on court d’autant plus à la recherche de l’énergle. Si on refuse la décharge, on devient tendu sous la pression excessive de l’énergie que l’on retient. Ce n’est qu’en permettant au cycle charge-décharge de se manifester dans toutes nos activités que notre vie peut prendre une direction naturelle.
Ce cycle charge-décharge implique à la fois l’ancien et le nouveau. J’accepte et je me sers de mes vieilles habitudes et je suis en même temps libre d’être spontané. Chacun de mes mouvements, chacune de mes émotions, chacune de me idées jouit de tout l’espace, de toute l’énergie nécessaire á son expression mais rien n’hypothèque le moment qui vient. Si par exemple je commence à sentir ma colère, j’ai besoin de laisser monter l’irritation, j’ai besoin de temps pour que la charge énergétique se construise. Et lorsque la moutarde me monte vraiment au nez, j’ai encore besoin de temps pour exprimer ce que je ressens, pour décharger ma colère. Si je coupe court á la montée de l’irritation ou si je ne manifeste pas cette colère, je resterai figé dans ma frustration. Si par contre je continue á exprimer ma colère jusqu’au point oü elle perd tout son sens, je m’épuise et je me fige dans ce comportement.
Quand les muscles du ventre et des cuisses (grand droit de l’estornac et droit antérieur de la cuisse) sont sur-développés, ils raccourcissent littéralement la face antérieure du corps en balançant Ie pelvis vers l’avant. Les psoas sont alors trop étirés et inactifs. Quand Ie ventre et les cuisses s’assouplissent et s’allongent, Ie pelvis bascule dans une position équilibrée et Ie psoas se détend, tout prét á entrer en action.
La respiration est partie intégrante de l’être global. Une respiration spontanée, c’est-á-dire une respiration á la fois pleine et libre, nous aide á établir en nous-mémes un centre flexible á partir duquel l’énergie, notre niveau personnel de charge-décharge, arrive á se stabiliser et à s’auto-ressourcer. Sur l’inspiration, la respiration fait vibrer toute la cage thoracique. II arrive même que l’on stoppe l’entrée d’air ou du moins qu’on la diminue á l’aide d’une série de contre-pressions subtiles puis que l’inspiration reprenne ensuite jusqu’á la prochaine pause. Le même phénomène peut se produire également sur l’expiration. L’effet général est celui d’une vibration á la fois vers l’intérieur et vers l’extérieur qui se répercute dans la cage thoracique puis qui s’étend dans tout le corps et ensuite dans toutes les dimensions de l’être.
La respiration est la clé qui permet de maintenir un équilibre entre la charge et la décharge. Lorsque j’inspire trop d’air, je construis la charge énergétique sans permettre à ce qui s’accumule de s’écouler à sa pleine mesure. Par contre, lorsque je pousse constamment mon expiration au point de me contracter en rejetant l’air, je me pousse constamment à mes limites. Une des façons pour le praticien de relâcher cette armure sera de mettre l’intérêt ailleurs que sur cet aspect de la respiration qui prédomine et d’insister plutôt sur celui que l’on néglige. Si l’expiration est excessive et la décharge trop prononcée, on verra à l’assouplir et à la ralentir tout en encourageant des inspirations plus profondes spécialement dans les régions négligées de la poitrine, du ventre et du dos. On procédera de façon similaire si c’est l’inspiration qui est trop forte : on passera d’une profonde inspiration à une expiration plus large et forcée même, qu’on exagérera en la soulignant par des sons.
Plus le cycle charge-décharge s’équilibrera, plus le praticien se mettra à encourager ce que l’on nomme “respiration spontanée” et que l’on pourrait décrire comme une vibration, comme un mouvement imprévisible de tout l’appareil respiratoire et éventuellement de tout le corps. Ce type d’énergie en mouvement est essentiel en ce qu’il permet d’abord de trouver puis ensuite de maintenir un niveau d’équilibre et de flexibilité. Lorsque le praticien pénètre le tissu, les jambes, les cuisses, le bassin et la tête se mettent à onduler au rythme de la respiration qui vibre dans la poitrine et ainsi l’énergie que l’on relâche sur chaque expiration revient avec l’inspiration qui suit.
Accepter et comprendre
L’Intégrateur postural doit être assez réceptif pour sentir le degré de pression que vous pouvez tolérer à tel ou tel moment. Il travaille en fait dans ce mince espace entre Ie massage relaxant et la pénétration parfois douloureuse du tissu musculaire. Si la pression est trop faible, il ne se manifestera rien de neuf à la conscience ; si elle est trop profonde ou trop rapide, votre armure y trouvera l’occasion de se renforcer. Le client doit confronter son armure mais a un rythme qui lui permet d’explorer et d’assimiler graduellement ce qui est en train de se passer. Au bout du compte, c’est lui qui décide toujours d’être réceptif au travail du praticien et d’expérimenter ces parties de lui-même jusque-là rejetées ou inconscientes. Tout Ie long du processus, le praticien pourra l’aider à saisir les étapes importantes à franchir pour que l’expérience soit vraiment assimilée et comprise.
Que l’armure prenne la forme d’une carapace très dure ou d’un coussin très mou, elle s’est initialement développée comme moyen d’éviter la douleur et la frustration, avant de devenir cette série de comportements appris par lesquels nous nous accrochons inconsciemment à la douleur. Prendre contact avec cette armure, c’est se libérer d’attitudes et de postures du passé mais ce n’est d’aucune manière une façon d’écarter enfin ou même de se débarrasser de son histoire personnelle. Prendre contact avec son armure, c’est un processus spécifique par lequel on se libère de son passé tout en se l’appropriant. Se libérer de son armure cela implique non seulement de la contacter en reconnaissant son rôle dans notre vie, mais aussi de la réclamer comme une partie de ce que nous sommes.
Souvent nous nous endormons au point de devenir complètement inconscients de nos défenses en créant un environnement dans lequel nous n’avons à faire face à aucun problème, où tout est prévu avec soin et où rien ne se passe. Or, la condition première pour qu’une transformation survienne est que l’on se sente incomplet, frustré même. Vient ensuite Ie moment où l’on commence à sentir sa résistance au changement. Sans cette étape essentielle, aucun travail corporel, aucune technique de respiration ou de mouvement, aucune affirmation mentale ni même aucun maître spirituel ne réussira à provoquer un relâchement durable et significatif de l’armure.
L’étape suivante est la reconnaissance du fait que la frustration, que le sentiment de non-complétude est en soi le problème. Tant et aussi longtemps que papa, maman ou la société seront perçus comme la cause des problèmes que l’on vit, nous resterons figés dans ces problèmes, même si nous sommes bien conscients de leur existence. Si c’est “cette douleur au dos”, “ces pieds qui me font souffrir” qui nous contrôlent, c’est qu’on n’a pas reconnu son armure pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un système de défense tourné contre nous-mêmes. Le relâchement qui survient lorsqu’on abandonne son armure n’a rien d’un acte mystérieux dans lequel une quelconque force extérieure viendrait prendre en charge tous nos petits malheurs. Lorsque le praticien commence à pénétrer mes muscles, il est important que je sois prêt à admettre que je résiste : par cette simple reconnaissance de fait, je peux en arriver à sentir Ie combat que je livre contre moi-même ou je peux tout simplement prendre note de ma résistance.
Enfin, comme dernière étape du processus de relâchement de l’armure, je dois réclamer mon sentiment de non-complétude, je dois réclamer ma douleur et mon mécontentement en les accueillant comme des éléments importants de ce que je suis. Maintenant que je me rends responsable de ma douleur, je l’accepte aussi comme une de mes composantes vitales. Il y a là un semblant de paradoxe : dès le moment où j’accepte vraiment l’attitude que je m’acceptais pas, je m’en libère. En voici un exemple : lorsque j’accepte la haine que j’ai pour mon père, ma haine devient complète, puissante et je suis prêt à vivre d’autres émotions. Maintenant que je hais mon père, je peux aussi l’aimer plus complètement. C’est en ce sens que la douleur émergeant du travail corporel en profondeur se transforme : il ne s’agit plus de douleur pure, mais bien d’une partie de moi-même que j’accepte et que je réclame, non seulement comme une douleur mais comme Ie soulagement d’une vieille blessure. Je me libère de mon passé en me I’intégrant.
Durant le processus d’Intégration posturale, le praticien nous encourage d’abord à contacter pleinement ce qui est en train de se passer en nous confrontant à nos limites puis à réclamer chacune des parties qui composent notre être global. C’est dans ce contexte que nos vieilles douleurs figées peuvent se transformer en expériences neuves et libérantes et que nous pouvons développer un type de conscience qui ne traite plus le corps comme un objet qu’on peut analyser ou manipuler. Dans la plupart des modèles occidentaux de la conscience, on situe en fait la conscience à un endroit : “ici” ; alors que les objets eux sont situés “là-bas”. L’histoire de la conscience se réduit alors à analyser selon des critères plus ou moins différents certaines des composantes des objets ou des événements. Selon ce modèle, je perçois la douleur que je ressens dans Ie bas du dos comme un problème qu’on peut étudier, comme la résultante de causes qu’on en viendra éventuellement à comprendre puis à éliminer. Mais le problème réside précisément dans le fait de dissocier cette douleur que je ressens de moi qui la ressent. Comme on l’a vu plus haut, aussi longtemps que je ressens cette douleur comme quelque chose qui m’est étranger, je construis une armure m’empêchant d’explorer véritablement cette douleur et de m’en libérer.
Les modèles de la conscience suggérés autant par le Zen que par la Gestalt, démontrent clairement que l’expérience du relâchement est un processus qui se fonde sur Ie fait de récupérer des parties de soi-même dont on s’est rendu étranger. Lorsque j’entre pleinement en contact, que je reconnais et que je revendique une partie de moi-même, je n’en suis plus conscient comme d’un objet séparé : je deviens cet objet. Dans le Zen, je me fonds complètement dans l’objet : je deviens l’observateur et l’objet de l’observation. En Gestalt, j’illumine le donné inconscient de mon expérience en laissant parler mon inconscient.
Au moment où le praticien rencontre l’armure bien développée du bas de mon dos, je sens Ie contact, je reconnais ma résistance à ce qui se cache profondément en moi et finalement je commence à réclamer mon dos en y inscrivant ma présence. C’est de là, précisément, que je me parle : “Jack, j’ai mal! Tu dois ralentir Ie pas et me donner toute l’attention que je mérite”. Même si ce dialogue ne va pas plus loin, J’aurai déjà commencé à relâcher Ie système de défense inconscient que j’ai emmagasiné dans Ie bas de mon dos. Mais le dialogue peut aussi continuer. Non seulement je peux déjà relâcher certaines parties de mon armure, mais je peux, à travers elles, communiquer avec ces autres aspects de moi-même qui doivent apprendre à coopérer entre eux et se permettre d’expérimenter de nouveaux mouvements, de nouveaux sentiments, de nouvelles pensées.
Il est possible d’analyser un peu plus techniquement cette façon de se comprendre soi-même et de s’accepter. On peut ainsi voir la douleur qui surgit pendant qu’on relâche une vieille posture ou une vieille attitude comme un événement particulier qui transforme le système nerveux. Selon l’explication la plus communément acceptée de la nature de la douleur, la théorie de la spécificité, un simple stimulus extérieur sur les terminaisons nerveuses du tissu musculaire amène une réponse conditionnée que l’on vit comme une douleur : mais cette explication ne tient pas compte de la contribution locale du tissu musculaire (ni de la : Mémoire musculaire d’ailleurs) dans l’expérience même de la douleur. Ce que l’on vit comme douleur ne dépend pas seulement de la réponse du cerveau (puis des réponses générales subséquentes de tout le système nerveux) mais aussi de la façon dont le tissu local permet au stimulus d’entrer dans le système. La théorie de la spécificité n’explique pas adéquatement Ie rôle joué par l’amure et par Ie relâchement de cette armure dans la détermination de la réaction au stimulus.
Il y a cependant une alternative intéressante : on peut voir le système nerveux comme un système fondé sur la réciprocité qui se transforme lorsque n’importe laquelle de ses parties est affectée par n’importe quelle autre. L’activité générale du système nerveux n’est plus alors contrôlée seulement par Ie cortex cérébral : les sous-systèmes y jouent un rôle essentiel. Selon ce modèle, Ie système nerveux est un ensemble compliqué de portes qui s’ouvrent et qui se ferment au rythme des stimuli traversant les récepteurs locaux. Ce que je ressens à un endroit précis ne dépend pas seulement de la réponse du cerveau à un stimulus, mais aussi de la façon dont Ie tissu contrôle localement ces portes. Et ainsi on peut comprendre que les portes de certaines parties du corps ont été “réglées” par certaines expériences douloureuses, réglées par une armure protectrice qui “fige” le muscle ainsi que le tissu qui l’enveloppe.
Si l’on considérait que l’armure est un donné permanent et irrémédiable, la théorie de la spécificité du simple stimulus provoquant une réponse pourrait expliquer la plupart de nos comportements figés puisque les portes garderaient leurs positions habituelles et que leur influence serait toujours la même.
Selon l’explication la plus classique, la douleur est une réponse conditionnée du cerveau à un stimulus extérieur ressenti par le tissu musculaire. Mais cette vue ne tient pas compte de la contribution locale du tissu musculaire à l’expérience de la douleur. Ce que nous expérimentons en fait en terme de douleur ” est directement relié à la façon dont le tissu musculaire local permet au stimulus extérieur d’être reçu : cette perception est tributaire de la mémoire inscrite dans le tissu musculaire. Dans le modèle alternatif proposé ici, le système nerveux fonctionne selon un système de réciprocité qui implique qu’un changement dans l’une des parties du système affecte toutes les autres parties. Le système nerveux y est pose comme un ensemble complexe de “portes” qui s’ouvrent et se ferment au rythme des stimuli passant les récepteurs locaux.
Pourtant lorsqu’il arrive que l’armure se relâche à travers Ie travail corporel en profondeur, il semble que l’on puisse vraiment “réouvrir” certaines portes depuis longtemps fermées par certaines expériences : le tissu musculaire est restimulé lorsque le praticien pénètre les défenses du corps et que le client peut ainsi revivre certains souvenirs et certains événements emprisonnés dans les muscles. Il semble que lorsqu’on est vraiment prêt à réexpérimenter pleinement ses vieilles douleurs, on enclenche un processus permanent de dissolution de l’armure, aussi ancienne, aussi ancrée soit-elle. Il en découle que les portes ne sont plus alors contrôlées par l’armure et qu’elles peuvent être redéfinies et disponibles à toutes les expériences que l’on sera prêt à intégrer.
Dans ce contexte, l’Intégration posturale apparaît alors comme une approche systématique à travers laquelle on peut découvrir l’unité profonde du moi intérieur et de ses manifestations extérieures, comme un processus permettant de trouver un niveau équilibré de charge-décharge énergétique et par lequel on peut affirmer (contacter, reconnaître, réclamer) ses expériences de vie présentes tout autant que passées. On pourrait aussi la décrire comme un processus s’étalant sur dix sessions de travail – quoique pour plusieurs ce nombre de sessions soit un minimum au cours duquel chaque partie du corps est libérée de son armure puis intégrée dans la structure globale. Au cours des sept premières étappes, les jambes, Ie bassin, la cage thoracique, les bras et la tête sont travaillés en profondeur et relâchés ; puis, dans cette phase finale que constituent les trois dernières étappes, chacune de ces parties de la structure corporelle est méticuleusement redéfinie dans une relation harmonieuse avec toutes les autres.
Un phénomène remarquable se produit quand l’armure commence à se dissoudre : Ie tissu musculaire devient considérablement plus souple, à la fois plus consistant, plus élastique et plus malléable. On peut sentir cette souplesse nouvelle tout autant en surface et dans les fibres de la musculature extrinsèque qu’aux niveaux plus profonds enveloppant la musculature intrinsèque, qui elle, devient plus accessible et plus agissante. A travers ce relâchement général, le corps s’invente aussi de nouvelles proportions : les hanches larges s’amincissent, les poitrines s’agrandissent, les torses s’allongent, les visages se détendent et les fesses s’affermissent. Il arrive souvent que des personnes grandissent de près de cinq centimètres et qu’elles en ajoutent autant à leur tour de poitrine. Dans le même élan, on vit et on exprime de façon beaucoup plus souple ses émotions et ses idées : il devient plus facile de pleurer, de crier, de rire, de chanter ou de gémir et les idées s’évadent plus aisément de leur cadre habituel. Quant à la phase intégrative du processus, Ic praticien y aide le client à stabiliser sa respiration, à mieux distribuer son énergie, à rediriger ses pensées et ses émotions, et en un mot, à harmoniser ses mouvements en en devenant plus conscient.
Le relâchement et l’intégration de soi à travers I’Intégration posturale est une profonde expérience de transformation. Cela ne fera pas de vous un être sans problèmes et sans tensions : on a toujours besoin d’exprimer ses angoisses et ses frustrations. Mais vous pourrez dès lors les reconnaître plus rapidement, les confronter plus directement et les laisser aller plus facilement.
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Jack Painter, 1985