Le mendiant et l’Empereur
Le changement n’est pas une amélioration mais une mutation. Ce n’est pas la résolution du problème mais l’accès à un plan de conscience où le problème n’existe pas. Ce n’est pas une réponse à la question mais la dissolution de la question. Il dit:
Le mendiant cache un Empereur
Le mot solitude désigne deux états de conscience opposés.
Il y a la solitude du mendiant et celle de l’Empereur.
La première est un état de manque : Je me sens isolé, seul, je suis triste, je me sens vide sans l’autre. Je suis dépendant de tout ce qui peut combler ce douloureux sentiment de manque.
La seconde est un état de plénitude : Seul, je suis heureux et satisfait d’être ce que je suis, sans besoin d’autre chose la vie me comble et cette joie irradie tout autour.
Ces deux états ne sont pas sur le même plan : le premier est un sentiment d’ordre psychologique ; le second est existentiel, il appartient au plan de l’être.
Le premier est à la périphérie de nous mêmes ; le second est notre centre.
Nous pouvons traverser le premier pour entrer dans le second.
Nous naissons seuls et nous mourrons seuls ; entre temps nous cherchons à oublier une solitude qui nous fait peur.
Pour ne pas la sentir au fond de nous, nous restons occupés à l’extérieur. La télévision, le travail, les passe-temps de toutes sortes viennent nous distraire et nous divertir ; ils nous détournent de ce qui, au cœur de notre être, nous fait pressentir la mort. Toute rencontre profonde avec soi même est ainsi évitée. Nous restons dans la dépendance. Nous sommes continuellement et confusément en attente de recevoir. Une attente souvent inconsciente, à l’origine de nos déceptions. La pression intérieure est parfois très forte ; il faut faire quelque chose pour ne plus sentir le manque : ouvrir le frigo, manger n’importe quoi, boire une bière, fumer une cigarette, prendre une drogue, avoir du plaisir sexuel, etc.
Toutes les dépendances ont la même source : le sentiment de solitude évité.
D’où le rêve romantique : quelqu’un qui, par magie comble le manque une fois pour toutes ; un autre, un père, un dieu, un amant qui soit la source de notre bonheur. Dans la relation, la peur de la solitude crée l’attachement, la possessivité, le besoin de manipuler l’autre et de le contrôler.
Rencontrer la solitude
Cesser de fuir, s’arrêter, se poser, avoir le courage de faire face au manque, au lieu de chercher à le combler. Se donner le temps de connaître cette douleur d’être seul ; dans le désir de la rencontrer, pas de la changer.
La ressentir, sans chercher à comprendre et rester dans le ressenti, sans rien faire.
Je suis simplement le témoin du sentiment de solitude. Peu à peu, il s’évanouit ; il s’efface et disparaît dans le miroir de la conscience. Je suis surpris de ne plus me sentir isolé ; une sensation nouvelle est apparue, celle d’être mystérieusement relié ; le sentiment de faire partie d’un espace plus vaste, un espace en expansion.
Un état de plénitude s’installe. Un état qui ne dépend plus de l’extérieur. Une solitude qui me comble. Le mendiant s’est transformé en Empereur.
La relation à l’autre change : elle n’est plus fondée sur le besoin de recevoir de l’attention ou de l’amour, ni sur la peur de perdre l’autre. Il n’y a plus de désir de posséder, je me sens appartenir à quelque chose qui me dépasse.
Avec patience, je transforme une à une toutes les sensations de manque en solitude assumée. Je sais retrouver l’Empereur sous le déguisement du mendiant.
Seul dans la relation
Ce travail de transformation, doit aussi s’accomplir dans la relation à l’autre.
Revenir au ressenti.
Je choisis de dire oui à ma tension et à mon sentiment d’exclusion. Je ressens la frustration, la tristesse de me retrouver seul. (…) Le moment où je ne peux pas rejoindre l’autre est une porte ; le passage est étroit : il consiste à rester dans la conscience de la séparation ; sans chercher à créer ou rétablir un contact perdu. L’impossibilité douloureuse de me fondre totalement dans l’autre m’invite à rechercher cette fusion en moi même. Dans cette fusion, le moi séparé disparaît et la conscience s’élargit… à l’infini.
Voila la vraie dimension de notre solitude ; celle de l’Empereur. Elle peut s’accomplir au sein même de la relation et dans la joie. Sudheer ROCHE